Université de Neuchâtel |
annuaire | plan du site | accès | contact |
Une nouvelle cartographie politique de la SuisseJacques SavoyLes explications liées aux résultats d'élections ou de votations fédérales s'appuient souvent sur les différences entre cantons ou, plus simplement, sur la base d'une subdivision de la Suisse en deux ou trois grandes régions. Le « Röstigraben », barrière linguistique, s'utilise dans un tel but mais cette démarcation symbolise-t-elle encore un clivage politique réel ? Est-ce que d'autres délimitations, plus fines et plus indépendantes de la langue peuvent-elles être mises en lumière ? Peut-on parler d'une véritable entité latine regroupant l'ensemble des cantons latins qui devraient partager un profil politique identique ? Au contraire, doit-on plutôt analyser la Suisse en soulignant d'autres oppositions comme celle entre ville et campagne voire entre région à majorité protestante ou catholique ? Toutes ces visions ont permis de mieux comprendre la Suisse durant les siècles précédents, mais sont-elles encore d'actualité ? Si non comment peut-on cerner les subdivisons internes à la Suisse afin d'en dresser une nouvelle cartographie politique ? Afin de mieux connaître les affinités et les oppositions entre cantons, nous avons repris les résultats des 73 dernières votations fédérales couvrant l'ensemble des années 2000 à 2007. Sur la base des proportions de « oui » à ces divers scrutins, nous désirons faire ressortir les similitudes entre cantons. Dans notre cas, le concept de distance (ou inversement de similarité) se mesure selon le pourcentage de « oui » lors de ces 73 votations fédérales. Deux cantons seront proches s'ils présentent des pourcentages similaires sur l'ensemble des votations étudiées. Inversement, ils s'éloigneront si leurs taux d'acceptation divergent fortement. Notre mesure de similarité ne se fonde donc pas sur le nombre d'objets acceptés ou refusés simultanément par deux cantons. Ainsi, si deux cantons acceptent un référendum avec des taux de 70 % et de 51 %, la distance qui les sépare (70 - 51 = 19) sera jugée plus grande que deux cantons ayant des taux de 51 % et 48 %, bien que, dans ce second cas, le premier accepte et l'autre refuse l'objet soumis au scrutin populaire. Les paires de cantons les plus similaires et les plus distantsEn premier lieu, nous avons calculé le taux de corrélation entre cantons basé sur leur taux respectif d'acceptation lors des 73 dernières votations. Ce taux varie entre -1,0 (parfaite opposition) et 1,0 (parfaite adéquation), avec la valeur 0 indiquant qu'il n'y aucun lien statistique entre les taux d'acceptation des deux cantons (Ce tableau est disponible). Signalons d'emblée que nous avons aucune valeur négative. Sur l'ensemble des votations fédérales, parmi toutes les paires possibles de cantons, nous n'avons pas trouvé d'opposition (corrélation négative). Evidement les taux d'acceptation entre paires de cantons peuvent être plus ou moins fortement corrélés. Sur cette base de similarité, quelles sont les cantons politiquement les plus proches ou, au contraire, les plus éloignés ? Les coefficients de corrélation que nous avons calculés sont généralement élevés. Mais parmi ceux-ci, on peut relever les quelques voisins extrêmement proches. La plus forte affinité politique se retrouve dans la paire « SG–TG » (0,993) ou « AI–SG » (0,992). La Suisse du Nord-Est semble très soudée entre des cantons partageants des visions politiques extrêmement proches. Examinons quelques autres relations entre cantons. Pour Zurich, Bâle-Campagne constitue le voisin politique le plus proche (0,984) et pour Bâle-Ville, c'est aussi Bâle-Campagne (0,955). D'autres liaisons particulièrement fortes apparaissent entre « SO-AR » (0,986) ou « LU–OB » (0,986).
Pour les cantons romands, on constate que les plus fortes similarités se retrouvent entre eux. Pour Genève, Neuchâtel s'avère le voisin politique le plus proche (corrélation 0,963), mais le canton de Vaud n'est pas très loin (corrélation 0,962). Pour les Vaudois, le plus proche voisin c'est aussi le canton de Neuchâtel (corrélation de 0.976). Pour ce dernier, c'est Vaud qui dispose du profil politique le plus similaire (corrélation de 0,976). Le tandem « NE-VD » forme donc un couple parfait. On peut retrouver un second tandem parfait avec les cantons de Fribourg et du Valais (0,954). Le canton de Neuchâtel constitue aussi le frère politiquement le plus proche du Jura (0,944). Neuchâtel semble donc se profiler comme le plus « typique » des cantons romands. Pour le canton de Berne, le voisin le plus proche serait Bâle-Campagne (0,980) mais les Bernois sont très légèrement plus proches du profil suisse moyen (0,981) (profil noté « CH »). Signalons toutefois que le canton de Soleure correspondant le plus au « profil suisse moyen » avec une corrélation de 0,983. Pour le Tessin, ce sont les Fribourgeois qui s'avèrent les plus proches mais la corrélation entre ces deux entités demeure moins élevée (0,845) que dans les cas précédents. Et quelles sont les cantons les plus éloignés politiquement des Romands ? La plus grande distance politique se rencontre en premier entre « JU–AR » (corrélation de 0,478) ou la paire « JU–SW » (0,498). Ces deux distances sont aussi les plus grandes possibles entre toutes les paires de cantons. Le Jura constitue-t-il vraiment un cas à part ? Parmi les autres différences les plus marquantes entre cantons, on retrouve « GE–AR » (0,508), « NE–AR » (0,553), « VD–AR » (0,602), « FR–AR » (0,742) ou « VS–AR » (0,793). Cette séquence révèle que le canton d'Appenzell Rhodes-Extérieures constitue l'entité politique la plus distincte de la Romandie. Un regard attentif révèle que le canton de Schwytz n'est pas loin de rejoindre celui d'Appenzell (« JU–SW » 0,498, « GE–SW » 0,546 ou « NE–SW » 0,59). Pour le canton de Berne, la différence la plus élevée se situe avec le canton du Jura (corrélation 0,764). Avant de tirer une conclusion rapide qui se justifierait par les différents passés ayant opposés ces deux cantons, signalons que le Jura s'avère aussi le plus éloigné pour 16 autres cantons. Berne n'est donc pas une exception. Sur cette constatation, il est dès lors peu étonnant de constater que le Jura est aussi celui qui s'éloigne le plus du centre moyen suisse (0,760) suivie, avec une certaine distance, par Genève (0,801), le Tessin (0.836), Neuchâtel (0.838) et le canton de Vaud (0,862). Les cantons latins semblent se distinguer du centre politique « CH ». Cette conclusion n'est pas entièrement valide. En effet, la distance depuis ce centre vers les cantons de Fribourg (0,947) et du Valais (0, 936) se situe dans la moyenne nationale (0,932). Regroupement homogène inter-cantonalDésirant dépasser les relations bilatérales entre cantons, nous souhaitons former des groupes plus importants. Notre outil statistique (clustering) va se baser sur les corrélations précédentes et sur le souhait de former des classes de cantons homogènes (c'est-à-dire que tous les membres d'un groupement doivent être assez similaires entre eux). La figure 3 visualise le résultat obtenue. Nous pouvons lire un tel schéma de la manière suivante. Plus on monte, plus la distance entre classes de cantons augmente. Dans ce cas, on regroupera des classes ne moins en moins homogènes. Par contre, les regroupements apparaissant vers le bas du schéma indiquent des liaisons fortes entre cantons ou classes de cantons. Ainsi le regroupement « AI et SG » ou celui entre cette dernière classe et le canton de Thurgovie (TG) correspond à des ligatures très fortes. Comme première structure très homogène, on a dépisté sept classes partageant des profils politiques similaires. Ces groupes sont « SG, AI, TG et GL », « OB et NW », « SH et GR », « SO, AG et LU », « VD, NE et GE » et « ZH, BL et BE ». Ce premier regroupement confirme quelques conclusions que les appariements entre paires avaient laissé entrevoir. On voit apparaître une Suisse du Nord-Est, le rapprochement du canton de Lucerne vers le nord (SO, AG), l'émergence de deux principales entités urbaines alémaniques (BE, ZH, BL) et un noyau romand centré sur le canton de Vaud ou sur la chaîne du Jura (VD, NE et GE). Afin d'inclure plus de cantons, nous devons admettre des profils quelque peu divergeants à l'intérieur de ces groupes. Avec une distance qui s'accroit, nous pouvons former cinq groupes. En premier la Suisse du Nord-Est et une partie de la Suisse primitive avec le regroupement « SG, AI, TG, GL, OB, NW, SZ et AR ». Puis on retrouve une classe centrée essentiellement sur le plateau « SO, AG, LU, SH, GR, UR ». Le noyau romand demeure inchangé « VD, NE, et GE » tandis que les trois grandes centres urbains alémaniques sont regroupés « ZH, BL, BE et BS ». Finalement on peut former le tandem « VS, FR » qui n'arrive pas à se joindre à une autre classe. Dans cette énumération, il existe clairement deux électrons libres, soit le canton du Tessin et celui de Zoug tandis que le canton du Jura tend plutôt à graviter autour du pôle romand. Finalement, si l'on désire construire une cartographie très simple en ne recourant qu'à deux ou trois classes, notre étude tend à démontrer que cette division ne doit pas se fonder sur la langue, la religion ou les bassins fluviaux. Selon les résultats des dernières votations, la Suisse se subdivise en deux parties. D'un côté, on retrouve les cantons romands de l'arc jurassien (NE, VD, GE, JU), l'entité latine des montagnes « VS, FR et TI » et les grands centres urbains alémaniques (ZH, BL, BE, BS). Comme seconde grand groupement, nous retrouvons le reste des cantons alémaniques se composant de deux grandes subdivisions, à savoir la Suisse du Nord-Est et du centre historique d'une part et, d'autre part, les cantons plateau central (LU, SO, AG, SH) avec le canton des Grisons.
Regroupement selon une seconde méthodeEn reprenant nos coefficients de corrélation entre les différents cantons lors des votations fédérales des années 2000 à 2007, nous pouvons recourir à un deuxième outil statistique (analyse en composantes principales) [DOD 07]. Cet outil permet de visualiser au mieux et en deux dimensions les distances respectives entres les cantons. Le terme « au mieux » indique que la méthode essaie de respecter la vraie distance entre les divers cantons mais comme on exige une visualisation en deux dimensions, la vraie distance est plus ou moins réduite donc, en partie, déformée. Dans la visualisation que nous avons obtenue (voir figure 4), les regroupements précédents se retrouvent, avec quelques nuances car la distance sur cette carte n'est pas toujours respectée. Signalons tout de même que les deux axes (première composante principale sur l'axe horizontal, deuxième composante sur l'axe vertical) mettent en opposition deux tendances. Sur l'axe horizontal, on retrouve à gauche les cantons romands de l'arc jurassien (GE, JU, NE, VD) et le canton de Bâle-Ville (BS). Sur l'extrême droite, on retrouve la Suisse centrale, des petits cantons de tradition rurale (AR, SZ, OB, NI, TG). Sur l'axe vertical, on retrouve en bas les trois grands centres urbains de Suisse alémanique (BS, ZH, BL, BE et ZG). A ce groupement, on oppose, au sommet du deuxième axe, des cantons à tradition rurale et plutôt montagnarde (JU, VS, TI, AR, FR, SZ). Si l'on reprend notre analyse précédente, on remarque que cet ensemble comprend le tandem « FR-VS » et les cantons plus difficiles à classifier comme le Tessin, le Jura et le canton d'Uri. Finalement, le centre correspond au profil suisse moyen noté « CH ». Vers ce centre, on voit graviter les cantons des Grisons (GR), Soleure (SO), Schaffhouse (SH). D'un autre côté, les cantons qui s'éloignent le plus de cette vision moyenne correspond aux cantons du Jura, Genève, Vaud, Neuchâtel mais également Bâle-Ville et dans un moindre mesure, le Valais (VS) et Appenzell Rhodes Extérieures (AR). On peut également consulter le tableau des coordonnées des cantons sur les quatre premiers axes principax.
Références[BOU 02] Bouroche J.-M., Saporta G., L'analyse des données Presses Universitaires de France, Paris, 2002. [DOD 07] Dodge Y., Geiser G., Rousson V., Divided Switzerland, In "Selected Contributions in Data Analysis and Classification" Brito P., Cucumel G., Bertrand P., de Carvalho F. (Eds), p. 567-576, Springer, Berlin, 2007. |
|